Préambule

Il est une question souvent abordée lorsque nous nous confrontons aux questions juridiques et au droit musulman. Celle-ci a trait aux différentes écoles juridiques et particulièrement au fait de s’affilier à l’une d’entre elles.

Tout d’abord, il est important de savoir que le concept d’ « école » apparut très tôt dans l’histoire de la jurisprudence. En effet, des Compagnons comme ‘Umar Ibn al-Khattâb, ‘Abd Allah Ibn Mas‘ûd ou encore ‘Abd Allah Ibn ‘Umar avaient chacun une méthodologie et une manière de voir les choses quand ils étaient amenés à se prononcer sur une question nouvelle pour laquelle aucun Texte n’avait été directement rapporté. Les élèves des uns et des autres s’inspiraient donc de leur maître respectif pour continuer cet effort intellectuel, ce qui conduisit à l’apparition d’écoles. Celles des Gens de Médine (Ahl al-Madîna) et des Gens de la raison (Ahl al-Ra’y) en sont les parfaits exemples.[1]

À partir de là de nombreuses écoles apparaîtront, mais quatre vont véritablement rester et être l’objet d’étude par les savants des différentes contrées. Il s’agit des écoles hanafite, malikite, shâfi’ite et hanbalite. Ce sont bien d’elles dont on parle lorsque nous posons la question : Faut-il suivre une école juridique ?

En réalité, la réponse à cette question varie en fonction du profil de chacun.

À chaque profil son statut

Pour répondre à cette question, il est indispensable de l’analyser à l’aune des différents types de gens et il serait erroné d’apporter une réponse unique sans prendre en considération la personne concernée par le suivi d’une école en particulier.

Ainsi, on peut classer les gens selon trois profils distincts : le savant, l’étudiant en sciences religieuses et le commun des musulmans ; et le jugement va varier en fonction de ces catégories.

De manière générale, lorsque nous parlons du savant ici, on désigne la personne qui a atteint un niveau suffisant pour pouvoir effectuer elle-même un effort d’interprétation (ijtihâd). [2] Dans son cas, il ne lui est pas permis de suivre aveuglément une autre personne, étant donné qu’il a la capacité de faire lui-même cet effort de déduction pour arriver à la réponse sur une question donnée, et cela correspond à la règle qui veut que le mujtahid ne peut se contenter de suivre un autre savant (al-mujtahid laysa lahu an yuqallid). Notons également que cet effort intellectuel ne l’empêche pas de continuer à s’affilier à une école particulière, surtout s’il adopte les fondements argumentaires (usûl al-istidlâl) de cette dite école.

La deuxième catégorie est celle des étudiants en sciences religieuses. Depuis la moitié du IVᵉ siècle de l’Hégire, deux [3] tendances principales sont à observer. La première, qui est l’avis de la majorité des savants, considère qu’il n’est pas permis de sortir des quatre écoles, certains allant même à rendre obligatoire le fait de se limiter à une seule d’entre elles. La seconde tend vers la non-obligation de suivre une école en particulier ; c’est entre autres ce qui se dégage des propos de l’imam al-Nawawî, d’al-‘Izz Ibn ‘Abd al-Salâm, d’al-Hâfiz al-‘Irâqî ou encore d’al-Zarkashî. [4]

Toutefois, certains savants adoptent une voie médiane en utilisant le terme de wâjib sinâ‘î (obligation méthodologique) pour qualifier l’affiliation à une école de cette catégorie de personnes. En effet, à travers les siècles les étudiants n’ont cessé de s’attacher à une école lors de leur apprentissage de la jurisprudence et de leur cheminement dans cette discipline, étant donné que chaque école dispose d’un cursus taillé sur mesure pour permettre une assimilation optimale et une utilisation cohérente des différents outils servant à analyser les Textes.

Le troisième profil représente la masse des musulmans. Ce qui est communément admis est que le commun des musulmans n’a pas d’école à proprement parler ou plutôt que son école sera celle de la personne qu’il aura interrogée (madhhab al-‘âmmî madhhab mustaftîh). Il ne pourrait en être autrement en raison du fait que suivre une école implique de connaître non seulement les différents avis mais aussi les fondements et la méthodologie qui y sont appliqués, ce qui est du domaine de l’étudiant et du savant et non du quidam. Certes, la personne peut se dire malikite, shâfi’ite ou autre, mais cela ne sera que par procuration et ne reflétera pas la réalité. [5]

Qui interroger ?

Dans le cas où plusieurs savants sont disposés à répondre à l’une ou l’autre question, la personne a la possibilité d’interroger qui elle désire parmi ces derniers, sans forcément opter pour le plus savant, et ce, selon l’avis de la majorité. En effet, les Compagnons ou leurs élèves ne se dirigeaient pas automatiquement vers quelques personnes désignées lorsqu’ils avaient une question, mais simplement vers celui qu’ils estimaient compétent pour pouvoir répondre. [6] Il est également important de rappeler que la fatwa n’est pas contraignante – contrairement à la sentence émise par un juge – et la personne n'est pas tenue d’appliquer la réponse qui lui sera donnée, pour peu qu’elle fasse preuve de crainte à l’égard de Dieu et qu’elle n’agisse pas de façon à se soustraire aux injonctions divines.

Reste à savoir les éléments permettant au commun des musulmans d’identifier la personne compétente pour répondre à ses questions. Ibn Qudâma en donne quatre [7] :  

- Elle occupe cette fonction (celle de répondre aux questions) sans essuyer la moindre critique par rapport à cela de la part des gens de science.

- Les gens ont l’habitude de la questionner et de mettre en pratique ses avis.

- Elle présente les signes de religiosité, de piété, d’intégrité et de scrupule.

- Une personne intègre nous informe qu’il s’agit de quelqu’un de savant et de fiable.

Conclusion

De ce qui précède, il apparaît que la personne lambda n’est pas tenue de suivre une école en particulier, comme le dit l’imam al-Nawawî : « Toutes les preuves indiquent que la personne n’est pas tenue de suivre une école en particulier, mais peut interroger qui elle veut sans que cela soit dans le but de jouir de toutes les facilités. » Par ailleurs, rien ne l’empêche non plus d’adopter les avis d’une école, en interrogeant systématiquement un savant de cette école, sans pour autant que cela ne constitue une obligation, le mot d’ordre étant la portée générale du verset coranique : (Interrogez donc les gens de science si vous ne savez pas.) (Les prophètes /n°21, v.7).