Le monde d’aujourd’hui vit une expansion sans précédent de la diffusion de la connaissance. Grâce aux réseaux sociaux, les habitants du continent africain ont la possibilité d'apprendre et d'enrichir leurs connaissances juridiques transmises sur le continent européen, par exemple.

Cette propagation de l’information présente des avantages mais aussi des inconvénients. Elle permet, en effet, un accès facile à l'information ; ainsi, tous les musulmans dans le monde peuvent écouter et visionner des enseignements diffusés via ces canaux. Ils peuvent de cette manière trouver des réponses à leurs questions religieuses.

Cependant, cet avantage cache un inconvénient dangereux : l'orateur visible sur ces réseaux possède-t-il les compétences juridiques nécessaires pour traiter des questions relatives aux pratiques cultuelles, au droit familial, aux transactions, etc. ?

Dispose-t-il d'une connaissance suffisante du contexte et du terrain d'où provient la question ? Toutes ces questions nous amènent à aborder un sujet très important à notre époque : Qu'est-ce qu'un jurisconsulte ?

Devenir un jurisconsulte musulman ne s’obtient pas seulement par le biais d'un cursus académique ou l'obtention d'un master ou doctorat. Il s'agit plutôt d'une formation de longue haleine qui requiert de lui ambition, patience, passion, piété et un grand scrupule moral et religieux. Il est essentiel de rappeler ici que tout étudiant souhaitant se former dans la théologie islamique doit maîtriser parfaitement l'arabe ; sans cette compétence, il ne pourra acquérir qu'une connaissance sommaire du droit religieux.

En outre, il doit également posséder une solide maîtrise de la méthodologie du droit (Usûl al-fiqh). Cette discipline lui fournira les outils nécessaires pour comprendre le processus de déduction juridique utilisé par nos juristes en vue d’extraire, à partir de versets du Coran et de hadiths de la Sunna, des normes religieuses dont ils sont porteurs.

Pour ce faire, la première étape de formation pour l'apprenant en droit musulman est de se former via l'une des quatre grandes écoles juridiques reconnues : hanafite, malikite, shâfi’ite ou hanbalite. Le choix de l'école juridique devra s’opérer en fonction de l’obédience juridique adoptée par le pays natal de l'apprenant ou selon l'école doctrinale majoritairement présente dans des pays aux communautés multiculturelles comme ceux d’Europe et d’Occident. Ce choix jouera un rôle crucial pour le futur jurisconsulte afin de l’aider à distinguer notamment les diverses pratiques cultuelles et culturelles observées par un musulman lambda.

La formation juridique forgée par le biais d’une école choisie, la méthodologie suivie par la majorité des savants juristes depuis l'apparition de ces dites écoles ainsi que la maîtrise d'un corpus doctrinal offriront au jurisconsulte en herbe des repères solides et lui permettront de naviguer sans peine dans l'océan des avis juridiques (fatâwâ). Cette démarche didactique vise à doter l'apprenant d’un socle de compétences nécessaires qui l’aideront à approfondir ses connaissances lors de l'étude du droit comparé, et l’épargnera des travers sectaires auquel se prête parfois le suivi d’une école juridique donnée.

Se former par le truchement d’une école du droit musulman ne signifie pas seulement mémoriser les choix juridiques optés par cette école, mais implique aussi de comprendre la genèse de cette école, ses sources argumentaires, ses fondateurs, ses différents courants, ses terminologies et ses référents. Il est important de noter que cette démarche ne peut aboutir de manière saine que si l'apprenant est encadré par un professeur intègre, sage et maîtrisant le droit musulman, et plus particulièrement le corpus doctrinal de ladite école.

Aussi, il convient de savoir que chaque école juridique a pris le soin de mettre en place un programme graduel de formation que l'étudiant sera amené à suivre pour être bien orienté. Ce programme prévoit notamment un ouvrage pour débutants, un autre pour le niveau intermédiaire et enfin un dernier pour le niveau avancé. Si l'étudiant en droit suit ces trois étapes, il aura acquis une bonne base en matière de connaissances juridiques.

Et une fois qu'il accède à la maîtrise du corpus doctrinal d’une école choisie, le futur jurisconsulte peut enfin explorer les autres écoles juridiques et se former dans ce que les savants appellent le droit comparé. L'étude du droit comparé vise d'abord à permettre à l'étudiant de repérer les points d'accord et de désaccord entre son école d’adoption et les autres écoles juridiques, et ensuite à cerner et comprendre les causes de divergence opposant ces différentes écoles. Cette étude bénéfique offrira à l'apprenant une vision plus large du droit et le rendra plus humble et davantage respectueux des autres opinions juridiques.

La prochaine étape pour le futur jurisconsulte consistera à préserver ses connaissances acquises dans ce domaine, de les élargir et de les comprendre correctement. L'un des meilleurs moyens d'y parvenir est d'enseigner et de transmettre le droit. À travers l'enseignement, ce jeune jurisconsulte révise et ancre ce qu’il a appris au fil des années. Il découvrira également que certaines questions juridiques étudiées par le passé n'ont pas été assimilées correctement. L'exercice didactique auquel il se livrera lui apportera donc des éclaircissements sur ces questions. La transmission de ses connaissances le confrontera également à des questions et à des situations inédites, ce qui le poussera à approfondir son savoir et à élargir ses lectures.

En outre, le jurisconsulte de qualité n'est pas celui qui se hâte de répondre à toutes les questions, mais prend plutôt le temps d'examiner la question sous tous ses angles afin de trouver une réponse en harmonie avec les prescriptions divines. De même, l'expert en droit est celui qui réforme ses opinions. Et à travers son expérience d'enseignant, le spécialiste en droit étendra sa vision et affinera son savoir ; ce qui le conduira en certains moments à modifier certains de ses avis juridiques forgés tout au début de sa formation.

Ajoutons aussi que le jurisconsulte vivant dans les pays à minorité musulmane doit absolument apprendre la langue de son pays de résidence. Cet atout est hélas très souvent négligé par les théologiens de ces contrées occidentales. La langue étant, rappelons-le, la clé d’accès à la culture sociétale ; elle permet à l'homme de science de comprendre les us et coutumes locaux, de comprendre le fonctionnement du système législatif en vigueur et de saisir enfin le jargon de la jeunesse musulmane.

Cela dit, le juriste porte à coup sûr une lourde responsabilité devant Dieu. En émettant un avis religieux, il attribue ce jugement à son Seigneur. C'est pourquoi il lui importera toujours de se rappeler, avant de se prononcer sur une question, qu'il sera questionné à son sujet le Jour du jugement.

Il ne pourra agir ainsi que s’il est solidement formé et habité par un sens aigu du scrupule moral et religieux, et une profonde humilité.