
Dans un précédent article, nous nous étions attelés à définir ce qu’est la fatwa, dans celui-ci nous nous intéresserons à la démarche correcte qui doit être la nôtre lorsque nous entreprenons de poser des questions religieuses et à qui celles-ci doivent-elles être adressées ?
Mais disons dans un premier temps que se renseigner au sujet des enseignements et prescriptions de l’islam, qui seront amenés par la suite à influencer notre quotidien et surtout notre rapport à Dieu, s’avère être un impératif auquel tout croyant consciencieux ne peut aucunement se soustraire.
Il figure en effet parmi les injonctions divines et prophétiques. À ce sujet, nombreux sont les versets coraniques et hadiths prophétiques qui soutiennent cette exigence. En voici quelques- uns :
(Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas.) (Les abeilles /n°16, v.43).
Les gens du rappel mentionnés dans ce verset ne désignent autre que les gens de science.
(Et dis : « Ô mon Seigneur, accroît mes connaissances ! ») (Taha /n°20, v.114).
Et nul doute que l’accroissement du savoir passe par la quête de celui-ci et l’interrogation de ses porteurs.
D’après le Compagnon Anas Ibn Mâlik , le Prophète
dit : « La quête du savoir est un devoir pour chaque musulman. » Rapporté par Ibn Mâjah.
Interroger les gens de science répond clairement à cet impératif.
L’illustre Compagnon Jâbir Ibn ‘Abd Allah relate ceci : « Nous étions en voyage lorsque l’un d’entre nous fut blessé à la tête par le jet d’une pierre. La nuit passée, il se retrouva en état d’impureté majeure (janâba), il interrogea ensuite ses compagnons de voyage : ‘‘Me trouvez-vous une dérogation me permettant de recourir aux ablutions sèches (al-tayammum) ?’’ Ils lui rétorquèrent : ‘‘Nous ne te trouvons aucune dérogation possible sachant que tu es en mesure de te servir d’eau !’’ Il se lava puis décéda ]des suites de sa blessure[. Puis lorsque nous retournâmes à Médine, nous vînmes voir le Prophète
qui fut informé du fait, il réagit vivement et dit : ‘‘Ils ont causé sa mort, qu’Allah leur rende la pareille ! Pourquoi n’interrogent-ils pas s’ils ne savent pas ? Certes, seul le devoir de se renseigner soigne l’ignorance ! Il lui aurait suffi de procéder aux ablutions sèches tout en serrant d’un bandeau la blessure de sa tête. ’’ Rapporté par Abû Dâwûd.
Il a fallu une invocation sévère du Prophète r, prononcée à titre dissuasif et non-intentionnée, à l’encontre de ceux qui avaient mal renseigné cet homme blessé à la tête qui conduit à sa mort pour souligner combien il est nécessaire de toujours se renseigner auprès d’une personne avisée avant d’agir sans connaissance.
D’ailleurs, dans d’autres domaines de la vie, c’est de cette manière que nous nous comportons généralement. Ainsi, si nous désirons acheter un véhicule ou faire construire une maison, nous nous tournons vers des personnes compétentes qui nous éclaireront quant au choix judicieux à faire en vue de concrétiser nos projets.
Cela dit, autrefois les gens n’hésitaient pas à consentir de grands déplacements afin de questionner des gens de science au sujet d’une affaire liée à leur foi ou à leur pratique religieuse. L’éminent juriste shâfi’ite al-Khatîb al-Baghdâdî fit écho à cette démarche en ces termes : « La première chose qui incombe à toute personne qui cherche à poser une question religieuse (al-mustaftî) lorsqu’elle est confrontée à une situation nouvelle (nâzila) est de solliciter un jurisconsulte (mufti) afin de l’interroger au sujet de son affaire. Si elle ne trouve pas de jurisconsulte dans sa localité, il lui reviendra de se déplacer vers un autre endroit où elle pourra le trouver. Et si elle n’en trouve aucun dans sa contrée, elle devra dans ce cas voyager à sa recherche dans un pays aussi lointain soit-il. C’est en ce sens qu’ont agi certains pieux prédécesseurs qui voyageaient pour une ]seule[ question. » (Al-Khatîb al-Baghdâdî, al-Faqîh wa-t-mutafaqqih, t.2, p.375).
Une chose est certaine, les choses ont bien changé depuis cette époque, aujourd’hui les fatwas s’invitent dans nos foyers via nos écrans de téléphone ou de pc et il suffit parfois de quelques clics sur la Toile pour voir défiler sous nos yeux une masse d’informations religieuses parfois contradictoires.
Soyons clairs, croire que l’on peut trouver un avis religieux sur le net ou via les réseaux sociaux est un véritable leurre et constitue même une démarche assez dangereuse, pour plusieurs raisons :
La première : beaucoup de fidèles ne sont pas suffisamment outillés, car cela nécessite une véritable formation religieuse, pour saisir toutes les nuances et tournures juridiques que peut comporter une fatwâ trouvée sur le net.
La deuxième : prendre à la lettre une fatwa d’internet et l’appliquer à soi-même s’avère une attitude fâcheuse, car il se peut que votre cas soit entouré d’éléments circonstanciés auquel ne fait nullement mention cette dite fatwa lue. Ce qui signifie concrètement que vous n’êtes pas visés par cette fatwa que vous avez trouvée sur la Toile.
La troisième : de même que personne ne s’aventurerait à se soigner lui-même sur la simple base d’informations médicales tirées du net voire d’un livre au risque de mettre sa santé en danger, il ne reviendra pas non plus à un croyant consciencieux de mettre en péril sa pratique religieuse au sujet de laquelle il sera interrogé dans l’autre vie en adoptant à tout va des fatwas dénichées sur la Toile ou parfois même d’ouvrages sans avoir les compétences religieuses nécessaires pour statuer s’il est concerné ou non par celles-ci et répondent-elles à sa situation personnelle.
Ajoutons aussi, face au désordre qui règne de nos jours dans le champ de la production de la fatwa, qu’être Youtubeur ou Instagrammeur suivi par des milliers de followers ne fait pas de vous pour autant une personne habilitée à délivrer une fatwa. Il convient donc de se méfier vivement de ses influenceurs qui s’immiscent dans ce domaine à moins qu’il ne soit prouvé réellement qu’ils possèdent une vraie formation en ce sens et qu’ils sont aussi dignes de confiance au niveau de leur probité et de leur sens du scrupule moral et religieux.
En outre, l’obligation de se retourner vers un homme de science afin de poser ses questions se justifie aussi par le fait que nos juristes, parmi lesquels le juriste malikite andalous al-Shâtibî, ont eu l’intelligence et la perspicacité de classer les gens, dans leur rapport vis-à-vis de la production d’une fatwa, en trois catégories distinctes.
La première incarne celle du savant mujtahid qui possède toutes les aptitudes nécessaires pour produire un avis religieux, il est assez bien outillé sur le plan des sciences islamiques pour extraire de façon indépendante une norme juridique (hukm shar’î) à partir des différentes sources du droit musulman telles que le Saint Coran, la Sunna, l’analogie (al-qiyâs), le consensus (al-ijmâ’), etc.
La deuxième renvoie aux fidèles qui n’ont pas cette formation requise, à ne pas confondre bien entendu avec une culture religieuse générale qui n’habilite nullement à émettre une fatwa, et se doivent, pour ce faire, se tourner vers un homme de science qualifié lorsqu’une question religieuse les préoccupe pour adopter ensuite son avis. Les juristes ont pris l’habitude de qualifier l’adoption de cette opinion juridique sous le terme de taqlîd, que l’on pourrait traduire littéralement par imitation. Certains juristes contemporains lui prêtèrent comme définition ceci : le taqlîd consiste à se fier aux avis émis par une personne de référence digne de confiance sur les plans de la piété et du savoir, que l’on interroge sans connaitre nécessairement et de façon détaillée les arguments qui sous-tendent l’avis qu’il a délivré. » Ne pas connaitre ses arguments signifie concrètement que nous avons suffisamment confiance en lui, pour les raisons mentionnées précédemment, pour se contenter de la norme que renferme la fatwa émise. S’ajoute à cela que nous n’avons pas les outils religieux exigés en vue d’être en mesure de saisir toute la construction argumentative sur laquelle s’est érigée ladite fatwa. Un peu à l’image du conseil que nous solliciterons auprès d’un médecin, d’un ingénieur ou d’un plombier par exemple.
La troisième et dernière catégorie est désignée sous le nom de al-ittibâ’ qui signifie suivi fidèle. Elle s’adresse aux gens de science qui jouissent d’une formation religieuse, toutefois leurs outils d’analyse religieuse ne sont pas suffisamment affinés pour prétendre à l’exercice de l’ijtihâd de façon indépendante. Leur tâche se confinera dès lors dans la comparaison des avis des savants, de leurs arguments et de leurs modes de raisonnement respectif pour ensuite privilégier l’une de ces opinions juridiques qui servira à émettre la fatwa. Il apparaît donc clairement que cette catégorie se situe à mi-chemin entre celles de l’ijtihâd et du taqlîd.
Intéressons-nous maintenant à un autre aspect de notre exposé qui traitera cette fois-ci de la conduite à avoir lorsque nous sommes confrontés à une situation qui nécessite un avis religieux extérieur.
Nos juristes musulmans tels que l’imam shâfi’ite Ibn Salâh et le hanbalite Ibn Hamdân rédigèrent des traités dédiés à l’art de la production de la fatwa (sinâ’atu al-fatwâ) et des bienséances que doit adopter la personne posant une question (al-mustaftî) à un homme de science. Celles-ci peuvent être résumées de la manière suivante :
1) Faire preuve de sincérité :
Poser une question religieuse étant un acte de foi, car sa réponse donne accès à la connaissance de la norme religieuse ou le jugement (hukm) d’Allah au sujet de l’affaire qui nous concerne, il convient donc de faire montre de sincérité pour jouir de la satisfaction divine et de la rectitude quant au choix à faire et à la voie à emprunter.
2) Formuler sa question avec précision :
Une règle de droit islamique nous apprend que statuer sur une question découlera de la conception que l’on s’en fait. Ce qui signifie à vrai dire qu’au plus la question sera précise n’omettant aucun détail important au plus la réponse le sera aussi. D’où l’erreur fréquemment commise par certains interrogateurs (mustaftûn) de manquer de précision avec pour conséquence fâcheuse de recevoir une réponse qui ne correspond nullement à leur situation.
3) Que la question posée porte sur un fait réel ou dont la survenance peut s’avérer imminente :
Il était en effet de l’habitude de certains Compagnons, lorsqu’ils recevaient des questions de demander à leurs interlocuteurs si les faits au sujet desquels ils étaient interrogés s’étaient réellement produits, si ceux-ci répondaient par la négative il n’était pas rare de les voir recevoir ce genre de réponse : « Laisse ce fait se produire et s’il devait arriver nous nous efforcerons de te donner notre avis. » Un tel propos plein de sagesse fut attribué, parfois selon des termes légèrement différents, à des Compagnons comme Zayd Ibn Thâbit, Ubayy Ibn Ka’b et ‘Ammâr Ibn Yâssir t.
Toutefois, cette réserve éthique comporte tout de même deux exceptions notoires :
La première : si l’affaire au sujet de laquelle l’homme de science est interrogé ne s’est pas encore produite mais que l’on désire l’anticiper et s’y préparer avant sa survenance éventuelle, cette affaire peut bien entendu faire, sans problème, l’objet d’un questionnement.
La deuxième : si cette question demeure hypothétique mais mérite d’être soulevée car la réponse à celle-ci, surtout pour des étudiants en sciences religieuses, nourrira à coup sûr la réflexion, la compréhension et le sens de l’analyse. À l’instar de ce que faisait l’imam Abû Hanîfa qui soumettait à ses élèves des situations hypothétiques dont l’avènement n’est pas sûr. Il importera toutefois de ne pas abuser du recours exceptionnel à ce mode de questionnement de façon à ne pas perdre le sens des priorités lors de l’acquisition du savoir islamique.
D’ailleurs, les textes coraniques et prophétiques sont nombreux à mettre en garde contre cette posture. En effet, dans le Saint Coran il est dit : (Ô les croyants ! Ne posez pas de questions sur des choses qui, si elles vous étaient divulguées, vous mécontenteraient.) (La Table servie /n°5 : 101), et au niveau de la Tradition prophétique, celle-ci nous livre le hadith suivant : « Certes, Allah réprouve pour vous trois choses : les ‘‘on dit’’, poser trop de questions et le gaspillage de vos avoirs. » Rapporté par al-Bukhârî dans al-Adab al-mufrad et authentifié par le cheikh al-Albânî.
4) Faire preuve de respect et de scrupule moral et religieux :
Les ouvrages traitant de la déontologie de la fatwa regorgent d’indications portant sur les bienséances que doivent observer les gens de science et ceux qui posent des questions. Et s’il est exigé de l’homme de science de faire preuve de piété et de rigueur dans l’émission de ses avis juridiques, les personnes se tournant vers lui se doivent elles aussi d’exprimer du respect envers leur interlocuteur au regard du savoir dont il est porteur et de faire montre de scrupule moral et religieux en veillant à ne pas dénaturer l’avis qui leur a été délivré.
Concluons à présent cet article par deux questions importantes et qui sont les suivantes :
1) Comment choisir l’homme de science vers lequel nous devons nous tourner ?
Si la compétence avérée tirée d’une formation religieuse sérieuse via un cursus universitaire ou par le biais d’études auprès de savants ou les deux à la fois sera exigée, la réputation morale et religieuse de cet homme de science doit être aussi établie en vue de lui faire confiance. Ainsi, si ces aptitudes et qualités sont de notoriété publique, cet homme de science sera incha Allah notre personne de référence
De plus, il arrive parfois que certains gens de science soient plus compétents que d’autres dans un domaine particulier, il nous reviendra dans ce cas de nous renseigner avant de poser notre question.
De même, il faudra aussi éviter de se tourner vers une personne de science uniquement en raison de sa notoriété médiatique. Jadis, l’imam Ibn al-Qayyim avait déjà mis en garde contre ce comportement. Il dit en effet : « Ce type de personnes n’interroge autrui qu’en raison de son apparence et non pas pour son mérite, ou au regard du poste qu’il occupe mais aucunement pour ses compétences. Ces gens se sont laissé tromper par le penchant des personnes non-instruites en faveur de ces individus et par l’élan suscité par les ignorants se précipitant dans leur direction. » (Ibn al-Qayyim, I’lâm al-muwaqqi’în, t.6, p.119).
2) Pouvons-nous interroger deux hommes de science différents ?
Initialement, notre devoir devant Dieu est d’interroger une personne compétente lorsque nous sommes confrontés à une question ou à une situation en vertu de la parole divine déjà citée : (Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas.) (Les abeilles /n°16, v.43)
Néanmoins, nous pouvons parfois être face à une situation où la réponse délivrée par un homme de science ne nous a pas convaincu ou apaisé. Dans un tel cas de figure, soit nous requestionnons l’autorité religieuse afin d’avoir davantage de précision et de clarification ou nous nous tournons vers une autre personne jouissant des mêmes aptitudes et compétences en vue de soumettre à nouveau notre question.
Néanmoins soyons clairs, il ne sera nullement question de se tourner vers quelqu’un d’autre, car sa réponse ne nous a pas plus ou ne correspond pas à nos intérêts, agir ainsi c’est faire preuve de mauvaise foi et c’est manquer de scrupule, l’imam al-Ghazâlî dit en effet : « Il n’est pas autorisé à un mustaftî d’adopter une opinion par désir ou de choisir pour chaque question ce qui lui plait le plus. » (Al-Ghazâlî, al-Mustasfâ, t.2, p.391)
Par conséquent, il ne sera pas inutile de rappeler que la finalité de cette démarche vise à apaiser son cœur en aspirant à ce qui plait le plus à notre Seigneur et nous rapproche davantage de Lui.
Reste à voir à présent quelle devra être notre attitude si les avis de ces deux hommes de science interrogés paraissent contradictoires, comment dès lors se positionner ?
Soulignons pour commencer que nos anciens juristes s’étaient déjà penchés sur cette question et l’avis le plus juste qui se dégage de leurs réflexions semble indiquer ceci :
Il préconise pour le muqallid (le croyant ordinaire pratiquant le taqlîd déjà défini plus haut) d’opter pour celui des deux qui, de notoriété publique, paraît le plus savant et le plus scrupuleux sur le plan moral et religieux. En revanche, si ces deux références religieuses se valent sur les plans du savoir et de la piété, libre à lui, le cas échéant, de pencher pour l’avis de l’un ou l’autre. Une telle posture a été soutenue par d’éminents savants au nombre desquels nous comptons les imams Ibn Qudâma, al-Nawawî, al-Ghazâlî et parmi les contemporains nous trouvons le Cheikh Ibn al-‘Uthaymîn.
Enfin, le mot de la conclusion sera de dire que, confronté à une telle situation, le croyant pourra toujours se fier à ce que lui dicte son cœur au niveau de la quiétude et de l’apaisement afin de faire son choix ; le Messager l’y invite d’ailleurs en ces termes dans une réponse qu’il prodigua au Compagnon Wâbisa Ibn ma’bad
: « Tu es venu m’interroger sur la vertu ? » « Oui », répondis-je. Il dit : « Interroge ton cœur : la vertu est ce qui laisse ton âme et ton cœur sereins, alors que le vice est ce qui te donne mauvaise conscience et crée en toi un trouble, malgré ce que les gens peuvent te dire. » Rapporté par Ahmad et al-Dârimî.
Que Dieu nous accorde un savoir utile qui éclaire la voie conduisant à Lui !
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